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Vous avez dit sensation ?


Article que vous pouvez retrouver dans le magazine VO2 Marathon N°146, avril 2003, pp.54-55, rubrique Psycho’Santé

J’ai des bonnes sensations, je n’ai pas de sensation, j’ai retrouvé mes sensations, j’ai perdu mes sensations, tant de paroles entendues depuis le sportif interrogé à la télévision à l’arrivée d’une course ou pour tout un chacun avant ou après un entraînement. Qu’est ce que sont vraiment ces sensations ? Sont elles une idée, une imagination, un fantasme ? Ont-elles une réelle valeur ?
Deux approches vont nous aider à comprendre ce qu’est la sensation : l’approche neuropsychologique et l’approche philosophique. Ceci revient à s’appuyer sur l’approche scientifique moderne et sur l’approche de la culture ancienne grecque. La rubrique de ce mois abordera l’aspect scientifique de la sensation.
Dans l’approche neuropsychologique nous construisons des cadres théoriques pour comprendre et expliquer comment un individu « fonctionne » et plus particulièrement apprend. Un de ces modèles explicatifs est dit canal unique ou encore boucle sensori-psycho-motrice (Pes et Feldman 1995). Nous pourrions alors comparer un individu à une pyramide comme suit :

Trois niveaux se dégagent. Le niveau « sensori » représente toutes les informations qui sont prises dans notre environnement par nos systèmes sensoriels : auditif, visuel, tactile, gustatif et l’odorat. Nous pourrions dire que sont les portes d’entrée de notre pyramide. A ces informations externes il faut y ajouter les informations venant de l’intérieur de notre corps (les sensations des différents organes). Toutes ces informations vont, selon notre figure 1, être traitées au niveau « psycho », dans le cerveau. Ensuite le cerveau envoie des messages, niveau « moteur », pour que l’individu réalise une réponse motrice : parler, marcher, courir…
Ce système est dit en boucle car lorsque je prend conscience de ce que je fais, « je me sens courir », « je m’entend courir », ce n’est plus uniquement une expérience motrice, mais une expérience motrice vécue sur le plan sensoriel. C’est toute la boucle qui se trouve activée.
Revenons donc à notre thème de la sensation. Depuis la naissance (et même avant) le bébé connaît le monde grâce aux informations sensorielles qu’il capte dans son environnement. De nombreux chercheurs étudient le fonctionnement de ces systèmes et notamment dans le sport. Les secteurs d’étude sont différents. Pour le système visuel, il y a des études sur l’analyse des trajectoires. Comment un joueur de football analyse-t-il la trajectoire du ballon qui lui arrive ? Mais il existe également des études sur les modifications de la posture en fonction de la coordination des yeux. Des chercheurs suisses ont montré le développement postural du bébé grâce à la vision (Bullinger 1990). Des études chez le coureur ont montré des changements de posture en fonction de la convergence-divergence des yeux. Certaines de ces perturbations pouvaient être source de blessures. Sur le plan tactile, notamment sous la plante des pieds pour les coureurs, des études ont montré des perturbations de la posture avec des modifications significatives de la statique. Ceci était parfois due à des manques d’information sous le pied suite à une cicatrice, même lorsque la cicatrice était déjà ancienne et semblait être « cicatrisée » (Constantinescu 1989). Sans aller jusqu’aux cicatrices importantes, on comprend mieux toute l’importance des soins podologiques pour éliminer la présence d’ampoules, de peaux mortes…
Toutes les informations captées par les différents systèmes sensoriels passent par une zone du cerveau : le thalamus. Cette convergence explique en partie que des études ont découvert que lorsqu’on stimule une modalité sensorielle, ce sont également les autres modalités qui sont favorisées. C'est-à-dire qu’avant un footing en forêt, si les yeux fermés vous vous concentrez sur l’écoute des bruits qui vous environnent, le vent dans les branches, le chant des oiseaux, lors de votre footing tous vos sens seront plus en éveil et vos sensations seront meilleures. Vous prendrez plus de plaisir dans votre séance.
Ces informations vont irradier certaines zones du cerveaux (par exemple la substance réticulée, responsable du niveau d’éveil) et donc augmenter l’éveil général du cerveau et de l’individu. Pour réaliser l’inverse (et donc diminuer l’éveil), en général lorsqu’on désire s’endormir, on ferme les volets et on se place dans une ambiance avec un minimum de bruits. On tente ainsi de diminuer les informations sensorielles.
La qualité de ces informations sensorielles et notamment les informations tactiles, en améliorant la sensation corporelle améliore la conscience corporelle. Or comme le précise Giordan (1998), dans le domaine de la motivation plus qu’ailleurs, la prise de conscience de son propre fonctionnement est la méthode la plus sûre et la plus efficace pour induire une dynamique. Nous reviendrons sur ceci dans des prochaines rubriques lorsque nous aborderons le thème de la motivation. Mais déjà nous comprenons mieux toute l’importance de la « fraîcheur physique » avant de participer à une course. En effet la fatigue diminue les sensations et par là même l’envie. Donc attention aux séances que l’on rajoute parfois pour se rassurer mais qui n’auront pas d’effet positif sur la course.
La sensation permet la connaissance et comme le précise Donnadieu, Genthon et Vial (1998), la connaissance est l’expérience d’un savoir approprié, c'est-à-dire transformé par le sujet, ce qui le constitue comme personne car ce qui est appris s’inscrit dans la durée et laisse trace même dans l’oubli du savoir.
Utiliser la sensation comme base de l’entraînement est un moyen facilitant une meilleure connaissance de personnelle bien au-delà de la course à pied mais bien par la course à pied. Déjà en 1937 Piaget émettait que l’intelligence (et donc l’action de connaître) ne débute ni par la connaissance du moi, ni par celle des choses comme telles, mais par leur interaction ; c’est en s’orientant simultanément vers les deux pôles de cette interaction qu’elle organise le monde en s’organisant elle-même.
La course peut ainsi devenir un moyen de connaissance du monde. Nous le retrouvons dans les raid, les trails… avec cette interaction avec la nature. Je m’auto-organise au milieu des éléments, les scientifiques appellent ceci l’auto-éco-organisation. Grâce aux sensations je prend mieux conscience de mon corps, cette connaissance facilite mon accés à la conscience de l’environnement. C’est le départ d’une véritable éducation à l’environnement.
Evoquer l’entraînement du point de vue de la sensation, c’est se mettre en position d’apprentissage dont le pivot est l’appropriation. C'est-à-dire selon Bonniol (1999), faire sien quelque chose qui n’est pas sien ; s’approprier c’est donc prendre dans l’environnement de l’information, de la ressource, de la contrainte, de l’événement, de l’énergie, du temps, de la poésie… et leur faire subir une transformation.
Pour finir ce bref tour d’horizon scientifique de la sensation, nous avons évoqué classiquement 5 sens, hors certains chercheurs considèrent un sixième sens : le sens du mouvement. Ceux qui se sont fait une entorse sérieuse ou une fracture nécessitant une rééducation ont entendu leur kinésithérapeute parler de l’importance de la proprioception. Après une entorse de la cheville on ne travaille pas uniquement sur l’amplitude articulaire mais également sur les sensations tactiles, d’équilibre, de force… du pied et de tous le corps. Situés dans les muscles (fuseaux neuro-musculaires, récepteurs de Golgi) et dans les articulations (récepteurs articulaires), ces récepteurs mesurent les mouvements des membres entre eux (Berthoz 1997). Ils constituent la proprioception. Les récepteurs cutanés mesurent les pressions ou les frottements sur la peau par contact des membres entre eux ou avec le monde extérieur. La vision mesure le glissement de l’image du monde sur la rétine, la position des objets dans l’espace, la forme, la couleur… Le mouvement de la tête dans l’espace peut être estimé par une combinaison d’informations visuelles et proprioceptives, mais il est aussi mesuré indépendamment par les capteurs vestibulaires (dans l’oreille interne). Tout ce système de capteur sensoriels participent au sens du mouvement.
Ce sens du mouvement serait unificateur d’un individu.
Déjà en 1902, Poincaré montrait le rôle joué par les mouvements dans la genèse de la notion d’espace. Selon lui, si les mouvements ont lieu dans l’espace tridimentionnel, il n’est pas nécessaire de se les représenter dans cet espace, mais seulement de se représenter les sensations qui les accompagnent. « Ces sensations proprioceptives ou impressions motrices ont une influence tout à fait prépondérante dans la construction de l’espace qui n’aurait jamais pris naissance sans elles » (Lestienne et Feldman 2001) . Très tôt les scientifiques ont mis à jour le rôle des sensations du mouvement dans la construction de soi et de notre environnement. Mais ce qui est important ici, c’est de retenir que ce qui permet de se construire (ou de construire la connaissance)n’est pas le mouvement mesuré mécaniquement mais la sensation de celui-ci.
Pour conclure cet aspect scientifique de la sensation je prendrai un dernier exemple. Nous traitons souvent dans notre revue de l’importance des radicaux libres. Denis Riché (2003) a justement souligné qu’une même séance pouvait avoir un impact bénéfique et entraîner une flambée de radicaux libres à un autre moment. L’importance de cette connaissance est capitale pour une bonne gestion de l’entraînement. La sensation ne serait elle pas le bon système « scientifique » pour avoir ces informations ?
Nous aborderons la sensation vue par les philosophes dans notre prochain numéro.

Bibliographie :
Berthoz A. Le sens du mouvement, O. Jacob, Paris, 1997
Bonniol J.J. Complexité et régulation dans la formation et la recherche en question, In Université de Provence, cahier N. 22, 1999
Bullinger A. Les fonctionnements sensori-moteurs, matériaux pour la croissance cérébrale, In Psychologie et cerveau, Seron X., PUF, Paris, 1990
Constantinescu D. La magnothérapie, Redebima Ed., Paris, 1989
Donnadieu B., Genthon M. et Vial M. Les théories de l’apprentissage, Masson, Paris, 1998
Giordan A. Apprendre, Belin, Paris, 1998
Lestienne G.F. et Feldman G.A. Du schéma corporel au concept de configuration de référence : une approche théorique de la production du mouvement. In Evolutions Psychomotices N.53, P. 127-143, 2001
Pes J.P. et Feldman D. Performances sportives et Psychomotricité, Jouvence, Genève, 1995
Pes J.P. Se régénérer le corps et l’esprit, Jouvence, Genève, 2000
Piaget J. La construction du réel chez l’enfant, Delachaux et Nieslé, Genève, 1977
Poincaré H. La valeur de la science, Flammarion, Paris, 1970
Riché D. L’oxygène la meilleure et la pire des choses, In Sport et Vie N. 76, 2003
Riché D. Les radicaux libres, In VO2 Marathon N. 144, 2003


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