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Comment être toujours vainqueur ?


Article que vous pouvez retrouver dans le magazine VO2 Marathon N°147, mai 2003, pp.52-53, rubrique Psycho’Santé

Nous avons dans notre dernier numéro débuté notre analyse de la sensation par le point de vue des sciences modernes du psychisme et dans quelle mesure la sensation pouvait être placée au centre de l’entraînement. Afin d’avoir une analyse la plus complète possible, nous allons à présent nous appuyer sur la philosophie grecque et faire la synthèse de tous ces apports. Comprendre ce qu’est la sensation dans le cadre du mouvement humain permettra de lever le voile sur ces mystérieuses impressions. Sensations qui encouragent, sensations qui rassurent, sensations qui font peurs, sensation-plaisir, peut-on les maîtriser, les utiliser ? Et enfin comprendre que "rien n'est coupé de rien et que ce que tu ne comprendras pas dans ton corps, tu ne le comprendras nulle part ailleurs" (Berge 1975).
Socrate nous invite à nous connaître avec la célèbre formule du « connais-toi toi-même ». Cette découverte de nous même n’est pas une psychanalyse mais un apprentissage par son corps et son intelligence, grâce à la nature. J’apprend en construisant mon entraînement et en retour mon corps m’apprend comment il le supporte, ce qui se passe dans mes muscles, au niveau respiratoire… ce que tel type d’effort modifie dans mon psychisme.
Socrate rajoutait d’ailleurs le aussi célèbre « je sais que je ne sais rien ! »… Il ne s’agit pas d’un moment de dévalorisation ou de dépression du grand philosophe, mais de la sublime humilité de celui qui veut apprendre. Je n’apprend pas si je sais déjà tout !... Apprendre c’est ouvrir des yeux d’enfants pour découvrir le monde. C’est le meilleur remède anti-stress. On n'apprend pas de la même façon à tout âge, mais on peut toujours apprendre.
Platon, le premier, eut une vision ordonnée du monde. Mais il détache radicalement réalité sensible et réalité intelligible. Platon idéaliste, cherche la béatitude absolue avec la beauté en soi. Cette séparation entre sensation et monde intellectuel encore présente dans notre société va être repensée par Aristote.
La sensation est la base de la connaissance. « Sans elle nous ne connaissons rien, pas même les principes universels et fondamentaux, car ils ne sont pas des données intellectuelles innées, mais ils sont saisis dans toute perception : ils sont universels parce que ce sont les principes de réalité » (Millet 1997). Aristote écrit « le sens est réceptif des formes sans leur matière ». Percevoir c’est recevoir par les organes des sens les effets des choses. Par exemple, un arbre a une forme matérielle, il existe sans nous. Lorsque je le reçois par mes sens (œil, oreille…), il a un mode d’existence différente. De matériel dans la chose il devient spirituel en nous, mais c’est la même chose sensible (Saint Thomas d’Aquin). En d’autres termes, les données sensibles sont nécessaires. Elles résultent des propriétés réelles des choses. Ces propriétés causent dans nos organes sensoriels des effets, qui nous communiquent les formes sensibles des choses, sans la matière réelle de celle-ci. Par exemple, voir une pierre ce n’est pas l’avoir dans l’œil ! Ce sont ses qualités sensibles (couleur, polie…) que je reçois.
Pour Aristote « la sensation est intelligence » . L’homme connaît à la fois par ses sens et par son intelligence. Et il ajoute, « il n’y a rien dans l’intelligence qui n’ait d’abord été dans le sens ».
Nous avons conscience de nos sensations. C’est ce qu’appelle Aristote « le sens commun » qui est à la fois conscience de nos sensations et de leurs différences. Commun aux 5 sens ce sens nous donne le sentiment d’unité. « …En sentant qu’il sent, l’homme doué du sens commun prend conscience de l’autre, par la conscience qu’il a de soi-même affecté » (Chalmel 1984). Nous avions noté dans notre dernier numéro que les neurophysiologistes faisaient appel à un sixième sens, le sens du mouvement. Mais ce sens est limité à des données matérielles. Aristote dépasse notre science moderne par son « sens commun » qui permet une unité que l’on pourrait dire physiologique des sens, mais également intellectuelle et psychologique. Ce qui explique que faire appel aux sensations et à la conscience de ces dernières aident à une meilleur apprentissage et permet de se sentir bien, de se régénérer physiquement et psychiquement. Lorsque je suis fatigué, stressé, je sens moins mon corps. Je peux me blesser, par exemple, en me faisant une entorse par déficit d’informations tactiles sous les pieds. La diminution de perception entraîne également une diminution de la motivation. Dans les états de tension psychique, à mon travail par exemple, je ne trouve pas de solution, dans mon quotidien je ne trouve pas d’issue à ma vie…
Il ne va pas de soi que l’entraînement puisse faire par ses seules valeurs, réapparaître les sensations. Mais poursuivons la pensée philosophique grecque de la sensation, mais avec des exemples actuels, vous l’aurez compris.
Si je vois une personne, elle est elle-même dans son esse naturelle, c'est-à-dire l’être naturel. Pour moi qui la reconnais, c’est l’esse intentionale, c'est-à-dire l’être intentionnel : la réception par mes sens et la connaissance de ce qu’elle est (elle est une femme !). La détermination de ce savoir procède d’un travail progressif de l’intelligence s’appliquant aux sensations (une femme que je connais, c’est Jennifer !).
Ceci est une nouvelle fois capital. Par nature, savoir que l’intelligence, et donc nous-même, progressons petit à petit avec l’aide du temps. Dans ce cas le temps n’est plus ce « mangeur de vie » mais celui qui m’aide à m’améliorer. Dans l’entraînement, il ne s’agit pas de vouloir « griller » les étapes, en faire toujours plus, vouloir reprendre avant même la guérison totale de la blessure…
« L’intelligence forme ce savoir, cette détermination intellectuelle, en découvrant peu à peu les propriétés d’abord cachées » (Millet 1997). C’est un travail d’abstraction qui consiste à découvrir le « ce que c’est » que la chose sensible perçue par mes sens.. L’être humain découvre peu à peu. Cette philosophie nous apprend qu’ainsi l’être humain peut progresser indéfiniment. C’est à dire que travailler dans cette perspective peut permettre d’éviter bien des lassitudes.
La perte des sensations peut être une rupture de communication entre le corps et la pensée. Si je ne vis pas mon corps dans des expériences constructives, je vais faire appel à d ‘autres types d’informations comme les représentations. Je me construis alors à partir des modes, à partir des images véhiculées dans la société, nous l’aborderons dans des articles sur l’image de soi.
En même temps que je fais mes actes, je peux en avoir une conscience réflexive. C'est-à-dire une action réfléchie sur ce que je fais. Il s’agit d’une conscience seconde par rapport à mes actes qui étaient eux-mêmes immédiatement conscients. Cette phase peut rester latente si par exemple, je me donne totalement à ce que je fais. Elle peut aussi permettre un léger recul si je me perçois agissant. « Cela peut éclairer mon agir. S’il n’envahit pas entièrement ma conscience, ce processus reste subordonné à ma tâche, mais si je m’y plonge pour y éprouver quelques satisfactions, je ne suis plus à ce que je fais. Ce processus reste donc dans l’ordre s’il reste subordonné à mes actions, alors il ne cause pas de trouble » (Millet 1997).
Cette pensée d’Aristote expliquée par Saint Thomas d’Aquin est capitale. Une nouvelle fois la philosophie dépasse l’analyse scientifique moderne.
En effet dans la réflexion des anciens, la sensation permet la connaissance. Elle est un principe capital. Mais en même temps on ne doit pas s’y perdre. Prenons des exemples.
Courir en nature constitue un bon moyen régénérant, les couleurs, les odeurs, les appuis variés, toutes ces sensations participent à l’enrichissement psycho-corporel. Mais si je ne suis plus que dans ces sensations, je ne suis plus dans mon objectif premier : courir ! … De même, lors d’un trail, je peux profiter de la découverte de la beauté du site, mais si je ne suis plus que dans cet éblouissement premier, j’oublie que je fais une course ! …
On peut appliquer ceci sur ses propres sensations, qui doivent être des indicateurs qui m’orientent, mais je ne vis pas que dans ces sensations. On retrouve ceci dans notre société où l’on cherche des sensations plus fortes et nouvelles, jusqu’à se mettre en danger. La sensation pour la sensation oublie que l’intelligence doit faire son travail. A ne rechercher que la sensation pour elle-même, c’est enlever les limites que seule ma raison pourrait élaborer. Les situations dangereuses peuvent être dans des lieux (descendre en hors-piste sans mesurer les risques), les choix de l’activité (ne pas être préparé et se lancer dans des allures trop élevées ), l’utilisation de drogues. C’est pour cette raison que la psychologie moderne a des difficultés à comprendre la sensation : la sensation, oui mais comment ? …
Car là où les modernes ont étudié l’homme comme une suite de petits bouts à expliquer, les anciens l’ont laissé dans son unité en se posant une autre question : qu’est ce qu’est l’homme ? Ainsi, nous redécouvrons peu à peu aujourd’hui que le tout est plus grand que la somme de ses parties. Contrairement à certaines idées reçues, la pensée culturelle ancienne n’est pas dépassée. Au contraire, elle a surpassé le temps, et pour une raison essentielle, c’est que l’homme est un homme, depuis le début…
Il est temps de faire la synthèse à la fois des données des sciences modernes et la philosophie grecque lorsqu’elle atteind sont apogée, c’est à dire la philosophie aristotélicienne.
La sensation, porte d’entrée d’un individu, va permettre d’orienter beaucoup de nos pensées, déclencher les automatismes du cerveau qui provoquent nos réactions corporelles. Elle sera l’accés privilégié de celui qui veut changer, s’améliorer, progresser. L’apport de la philosophie aristotélicienne, nous permet de compléter notre schéma de départ représentatif d’un individu évoluant dans un environnment (figure 1).

Nous comprenons mieux que la sensation nous accompagnera tout au long de nos articles, car elle est le point de départ de la connaissance humaine, et donc elle aura à être étudiée dans toutes les phases de la préparation.
Avant un entraînement, elle participe au petit bilan que je fais de ma journée. Je sais la charge tensionnelle, les frustrations, les joies et les peines que j’ai éprouvées, la sensation corporelle me confirme ou pas l’empreinte corporelle de ma vie psychique. Ainsi j’adapte mon échauffement. Elle m’aide à prévenir les blessures et les accidents. Dès mon début et pendant tout mon entraînement, elle permet une participation active. Je vis mon entraînement, je ne le subis pas.
Le travail sur les sensations m’aide à trouver, maintenir ou améliorer ma motivation.
Elle me permet surtout de vivre la course à pied comme un enrichissement corporel et psychique. Quel que soit mon niveau, ma vitesse de course, j’apprends… Dans cette perspective vous êtes toujours vainqueur.

Bibliographie :
Aristote Traité de l’âme, traduction de Tricot, Vrin, Paris 1972
Aristote Ethique à Nicomaque, traduction de Tricot, Vrin, Paris, 1972
Berge Y. Vivre son corps, Seuil, Paris, 1975
Chlalmel P. Biologie actuelle et philosophie Thomiste, Téqui, Paris, 1984
Clément M. Une histoire de l’intelligence, L’Escalade, Paris, 1979
Millet L. La vie a-t-elle un sens ? Téqui, Paris, 1997
Millet L. Thomas d’Aquin – Saint et Docteur, Téqui, Paris, 1999


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